En quête du chat de Pallas
La photographie et encore plus particulièrement la photographie de nature est une discipline qui demande du temps et de la patience. Je voyage au Ladakh tous les hivers depuis 2016, si l’on fait abstraction de la pause provoquée par la pandémie en 2021 et 2022 et j’aurai eu besoin de ces sept séjours aux confins de l’Himalaya et du Tibet pour enfin photographier le chat de Pallas !
Quête naturaliste et géopolitique
Evidemment, observer le Manul (l’autre petit nom de ce matou bien sauvage) aurait été probablement plus aisé et plus rapide si l’espèce était plus largement répandue dans le nord de l’Himalaya. Mais non, afin de bien compliquer la quête de ce petit félin mystérieux, il faut se rendre dans la région du Chang Tang, qui n’a été autorisée aux étrangers que partiellement. Ce n’est que l’an dernier en 2024 que nous avons pu tout à fait officiellement nous rendre dans cette région, là où nos chances d’observer le chat de Pallas avaient une probabilité réelle. En 2023, j’avais pu venir jusqu’à Hanle, mais seulement à la journée. Nous n’avions pas le droit de dormir plus à l’Est que le village de Nyoma. Avec un temps de prospection aussi réduit, point de chat cette fois-là, même si nous avons pu photographier un autre animal rarissime avec l’observation de trois gazelles du Tibet !
Séjourner à Hanle, enfin !
En janvier 2024, c’est bon, le gouvernement indien lâche du lest et autorise les touristes étrangers à venir séjourner dans le bassin de Hanle. Nous sommes à quelques encablures du Tibet et donc de la frontière avec la Chine. Rappelons que ces deux grands pays se disputent une ligne en pointillés sur la carte, depuis l’invasion du Tibet par la Chine, qui en profita pour annexer une partie du territoire indien du Ladakh. Voilà bientôt 60 ans que l’affaire en est là, un pseudo statuquo et des accrochages réguliers entre militaires des deux camps, au milieu de nulle part, entre 4500 et 5000m d’altitude. Si on oublie un peu ces tracasseries, la région de Hanle est pour le reste un endroit fantastique, peuplée par quelques familles Chang-pa et d’autres familles de réfugiés tibétains. On vit de peu dans ce désert d’altitude, aussi froid qu’aride. La faune sauvage doit composer avec la concurrence des troupeaux de chèvres pashmina, qui donnent la laine avec laquelle on confectionne le précieux cachemire, et les troupeaux de yaks. Mais il y a de la place sur ce haut plateau et même si nous sommes ici sur le troisième pôle (après les pôles Nord et Sud), chaque été voit une maigre végétation pousser, permettant à la chaine alimentaire végétaux -> herbivores -> carnivores de fonctionner tout de même dans des conditions extrêmes.
Une faune très spécifique
Avec les contraintes climatiques énoncées précédemment, il va de soi que la faune qui peut vivre dans un tel lieu y est parfaitement adaptée. Ceci a pour effet de réduire la diversité des espèces, en revanche, celles qui arrivent à prospérer sont souvent endémiques de cette éco-région. Chez les mammifères, les plus grands et les plus faciles à observer sont les kiangs, des équidés sauvages très élégants. On en compte entre 3000 et 5000 sur la partie indienne du Chang Tang. Viennent ensuite les argalis, un beau mouflon qui se fait bien plus rare et que je n’ai aperçu qu’une fois de loin. Concernant les gazelles du Tibet, leur nombre en Inde est estimé à 80 ou 100 spécimens et en 2024, nous avons dû observer pas moins de la moitié de cet effectif. Puis ce sont les moyens et petits rongeurs et lagomorphes (pika, marmottes et « campagnols ») qui font le plus gros de la biomasse chez les herbivores. Quand on passe aux carnivores, les plus nombreux sont les loups du Tibet, que nous avons bien photographiés. Le renard roux est assez bien représenté. Enfin, quelques couples tout au plus de renard du Tibet et de chat de Pallas vivent dans le bassin de Hanle. La panthère des neiges est présente mais de manière anecdotique. Les oiseaux sont plus nombreux, même si, en hiver beaucoup sont partis en migration vers un climat plus hospitalier. On observe cependant assez facilement le hibou grand-duc, le ganga du Tibet, l’alouette hausse-col et divers bruants.
Un chat croisé avec un gremlins
Le chat de Pallas (Octobulus manul) est un félin vraiment singulier. Après trois journées infructueuses, où nous n’avons fait que des observations lointaines d’un individu en chasse aux rongeurs, je commençais à me dire que ça ne serait pas encore pour cette fois. Il nous restait 48h avant notre retour pour Leh, capitale du Ladakh et fin de notre voyage. Chamba et Norbu, nos deux guides naturalistes, ne lâchaient rien ! Debout avant l’aube, ils nous devançaient sur le terrain, dans le froid glacial du matin, pour jumeler les promontoires rocheux un peu au sud du village. Ce secteur est connu pour abriter une femelle qui donne naissance à une portée de chatons chaque année. Mais localiser cette petite boule de poils fauves dans les amas de roches jaunes et beiges relève de la gageure. C’est pourtant ce que Norbu finit par réussir ! Nous rappliquons avec précaution et l’espace d’un moment cette femelle manul réussit à échapper à notre vigilante observation. Heureusement c’est pour réapparaitre quelques instants plus tard, dans un trou de roche. Nous sommes alors à une petite cinquantaine de mètres. Silencieux, derrière nos objectifs ou nos jumelles. Elle nous dévisage avec ces yeux jaunes caractéristiques et sa bouille de gremlins ! Puis elle nous sort le grand jeu de la toilette, comme tout bon chat qui se respecte. Après presque deux heures de spectacle, nous analysons la situation. Nous sommes pile entre ce chat de Pallas et son territoire de chasse ; Si nous restons plantés là, nous l’empêchons de partir chercher sa pitance. Nous avons déjà plus d’image que nous en rêvions et c’est sans regret que nous nous retirons pour lui permettre de vivre sa vie de chat.
Sylvain Dussans
Participez à cette aventure photographique en Himalaya avec notre voyage photo Ladakh, au royaume de la panthère des neiges