Photographier les orchidées du sud de la France
Une furieuse envie d’ailleurs !
L’hiver a été particulier cette année, avec un gros coup de chaud dès la mi-février, avant un retour en fanfare de la neige et du froid. Toujours est-il qu’après avoir bien profité de la neige, cet avant goût du printemps avait fait germer en moi l’envie d’aller photographier des fleurs. Quelques nivéoles pour me mettre en bouche et voilà que je guettais les floraisons des premières orchidées dans le sud de la France. Confiné durant tout le printemps 2020, je ne voulais vraiment pas me faire piéger à nouveau et pourtant déjà la 3ème vague de la Covid enflait et la rumeur d’un nouveau confinement se précisait chaque jour un peu plus. Qu’à cela ne tienne, tant pis, j’avance mon départ, prévu initialement en avril et fin mars, je prends la route!
Cap au sud, direction l’Estaque
Lundi 29 mars, je quitte « mes » Bauges et la Savoie pour rejoindre la vallée du Rhône. Très vite, dans ce couloir climatique, l’influence méditerranéenne se fait sentir et dès mon premier arrêt au nord de Montélimar, j’y suis, ça hume bon le thym! C’est sur les bords pourtant canalisés et artificialisés du Rhône, que j’admire mes premières orchidées, et pas des moindres : dans ce spot connu des initiés, fleurit un unique exemplaire d’une espèce qui d’ordinaire pousse bien plus au sud. En France, Ophrys tenthredinifera est en limite nord de répartition et se rencontre dans quelques coins du pourtour méditerranéen. Alors croiser cette magnifique fleur en Rhône-Alpes, je n’en reviens pas!
Elle n’est pas seule, des centaines d’ophrys très polymorphes s’épanouissent sur les berges du grand fleuve, favorisés par la fauche raisonnablement menée par la Compagnie Nationale du Rhône. Il s’agit d’une espèce précoce qui donne du fil à retordre aux taxinomistes. Pour ma part, je choisis l’option la plus simple d’Ophrys occidentalis. Avant de reprendre la route, je profite des barlias (Himentoglossum robertianum), une grande orchidée méditerranéenne en pleine expansion vers le nord et au parfum très agréable. Elle aussi très précoce, je recherche les pieds un peu en retard pour photographier des fleurs encore fraîches.
Après cette pause le long du Rhône, c’est au bord de la Grande Bleue que je retrouve deux amis photographes de la région. Nous sommes à l’ouest de Marseille, dans la chaine de l’Estaque. Qu’il est bon de se balader dans cette garrigue de ciste et de romarin, à quelques mètres de la mer. Très vite, nous trouvons de belles orchidées : Ophrys passionis, Ophrys aurelia et au bout d’un moment, l’hybride naturel entre ces deux espèces. Puis c’est le tour des premiers Ophrys lutea qui démarrent tout juste. Mes deux compères n’avaient pas idée des richesses insoupçonnées de la garrigue, nous photographions ces fleurs sous toutes les coutures!
Mais si je suis dans ce secteur en particulier, c’est pour une orchidée dont c’est le « locus classicus » : c’est ici même qu’ont été découverts les spécimens servant de type pour la description scientifique. Nous cherchons, cherchons, et après une belle balade, nous tombons enfin dessus. Pas étonnant qu’il nous ait fallu chercher, ces Ophrys delforgei sont vraiment petits!
En fin de journée, sur le coin qui m’accueille pour la nuit avec mon camion, j’ai encore du temps avant qu’il ne fasse trop sombre et les quelques barlias un peu fanées ici et là semblent me dire : « allez, cherche encore un peu… ». Assez vite je trouve des Ophrys linearis (auparavant nommés O. pseudoscolopax et encore avant O. fuciflora). L’un d’eux attire mon attention, c’est un « lusus » : une sorte de monstre, un mutant, dont les fleurs sont à double labelle. Caché entre le thym et le brachypode rameux, de nouveau l’élégant Ophrys lutea, tout de jaune. Plus loin, la forêt de pins maritimes a été dévastée par un incendie, quelle désolation! Mais la vie est coriace et repart de plus belle. De nombreuses plantes profitent d’un accès nouveau à la pleine lumière. S’ils n’étaient pas si fréquents, l’impact des incendies pourraient être intéressant pour diversifier le milieu naturel, mais hélas, la forêt méditerranéenne brûle bien trop souvent.
Mardi 30 mars, dès l’aube, j’ai l’appareil photo en main. Les premiers rayons de soleil inondent la garrigue et la maigre rosée de la nuit s’évapore, créant une atmosphère très poétique. Dans les rochers d’une ruine, je découvre un petit gecko : le Tarente de Maurétanie. Avec la fraicheur matinale, je parviens à le photographier sans trop de difficulté, mais le bougre reste timide. Il est temps de quitter ces lieux pour rejoindre le département voisin du Var. En fin de matinée, après avoir traversé Marseille et Toulon, je rejoins la réserve naturelle de Colle Noire. Je quitte le calcaire pour ce promontoire de grès, prémisse du massif des Maures. La flore change quasi instantanément. La forêt est majoritairement constituée de chênes lièges et le sous-bois abrite les grandes bruyères arborescentes et les argousiers. Je fais une belle balade en balcon sur la Méditerranée, mais je trouve peu d’orchidées, hormis une petite station d’Ophrys splendida, accompagnés de quelques céphalanthères à longues feuilles. Je manque d’information pour ce secteur et je rate sans doute pas mal de choses. Tant pis, je décide de rejoindre ma destination finale, un peu plus à l’est, dans les terres.
Merveilleuse Plaine des Maures
Paradis des amoureux de la nature, classée depuis 2009, la réserve naturelle nationale de la Plaine des Maures est un ensemble unique d’écosystèmes méditerranéens et abrite donc une faune et une flore bien spécifiques. La géologie particulière, faite d’affleurement de grès rouge du Permien, offre un sol légèrement acide globalement drainant et sableux, mais chaque cuvette retient l’eau des pluies, formant des mini-oasis temporaires. C’est le domaine de la tortue d’Hermann et du lézard ocellé, espèces emblématiques de la réserve, que je n’aurai pas l’occasion d’observer hélas. Dans les zones de prairies, des tapis de délicates anémones déroulent des camaïeux de violets, tandis que dans les boisements de pins parasols, les iris nains rivalisent d’exubérance, passant du jaune pâle au violet presque noir. Quelques tulipes australes amorcent leurs floraisons… Mon objectif principal est ici de photographier une orchidée typique de ces lieux : Serapias neglecta. J’avoue une fascination pour ce genre dont le nom vernaculaire est « orchidée langue », à cause de la forme évocatrice du labelle. Des huit espèces présentes en France, aucune ne pousse dans mon secteur en Savoie, cette relative rareté confère à mes yeux une dimension peut-être mythique et irréelle?
Mercredi 31 mars, dès mon premier arrêt, un peu au hasard, je trouve relativement vite quelques Serapias neglecta. Comme je le craignais, cette orchidée commence tout juste sa floraison. Je photographie tout de même ces plants même s’ils ne sont pas à leur avantage et j’espère en trouver d’autres, un peu plus avancés. Je prospecte plusieurs secteurs, dans ce paysage typique de la Plaine des Maures, qui évoque parfois une sorte de contrée lointaine, comme un parfum d’Afrique. Je finis par dégotter quelques S. neglecta un peu plus photogéniques et je dois me contorsionner au ras du sol pour obtenir un cadrage qui me satisfait. De nombreuses espèces restent introuvables, il est encore trop tôt, mais je peux tirer avantage de ce petit contre-temps en photographiant une autre orchidée précoce et bien représentée ici: Neotinea lactea. Deux belles espèces, rares et protégées, c’est déjà bien et j’ai ainsi une bonne excuse pour revenir dans ce très beau coin du Var.
Retour dans le calcaire
Jeudi 1er avril, je reprends la route du retour, pour aller me confiner après l’annonce présidentielle. Comptant bien en profiter un maximum avant de retrouver les Bauges et le froid, j’ai deux « spots » indiqués par de généreux passionnés sur le chemin. Je quitte donc la Plaine des Maures à l’aube pour un premier arrêt à l’est de Salon de Provence. Ici, niché entre deux collines calcaires, un petit vallon tranquille, entretenu de manière visiblement pertinente du point de vue écologique par les services de DFCI (lutte contre les incendies). Il en résulte une garrigue en mosaïque, avec des zones denses de cistes et de romarins et d’autres plus ouvertes, plus riches en espèces végétales. C’est là que je trouve en toute logique la plupart des orchidées, qui sont généralement des espèces de pleine lumière.
Je fais mes premières et belles observations d’Ophrys forestieri (ex lupercalis), une orchidée que je trouve très esthétique même si les espèces du groupe Pseudophrys ne sont pas à priori les plus colorées. Ils sont nombreux et pas encore trop passés, alors qu’ils fleurissent dès le mois de février. Mais l’orchidée la plus présente sur ce site est Ophrys passionis, avec une belle variabilité de couleur d’un individu à l’autre, certains sont très beaux. Je recherche en vain un pied d’Ophrys speculum, mais je ne dispose que d’une flèche sur une image aérienne pour le localiser. Je passe au peigne fin la zone indiquée mais je ne trouve rien. Enfin, pas tout à fait car à force d’écarquiller les yeux, je trouve une fleur originale : le salsifis austral (Tagopogon porriflorus subsp australis). Puis, dans ce que je pense être des O. passionis, il y a en fait des Ophrys provincialis qui s’en distinguent avec une couleur orangée du « champ basal », une zone précise du labelle. Tout est dans détail, mais je suis content d’ajouter une autre nouvelle espèce à ma liste ! Plus loin un hybride entre O.forestieri et O. passionis. Bon allez, je dois laisser ce lieu où je pourrais passer des jours, j’ai de la route et encore un stop.
Cap plein nord sur l’A7. Je sors à Valence et quitte provisoirement la route des Alpes. Je trouve facilement le point indiqué et là quel ravissement : une quinzaine de pieds d’Anacamptis papilionacea ! Cette orchidée est normalement bien plus méditerranéenne, elle est par exemple assez commune en Sardaigne. Je suis donc très heureux de la savoir installée dans la Drôme. Décidément, ce département est d’une richesse extraordinaire au niveau des orchidées. Le vent souffle, je mitraille donc pour assurer, sachant que je photographie avec une grande ouverture (en général entre f4 et f5,6, parfois un peu plus, avec un objectif 90mm macro Tamron) pour obtenir peu de profondeur de champ et un joli flou. Du coup, je n’ai pas droit à l’erreur, les 2 ou 3 mm de zone de netteté doivent être là où je le veux. Alors je multiplie les photos, sachant de toute façon que mon périple se termine ici. Tant que je suis dans la technique photo, vous aurez peut-être remarqué que j’essaye autant que possible d’avoir une lumière douce, diffuse sur les fleurs, afin de restituer au mieux le modelé, les formes et les couleurs. Dans ce but, je place mes fleurs dans l’ombre, le plus souvent à l’aide d’une feuille de papier calque, parfois avec ma propre ombre. Et comme j’expose pour la fleur, il en résulte une sur-exposition, parfois jusqu’à +2 IL (voir plus), de l’arrière plan. Avec cette technique, je peux photographier même en milieu de journée, aux heures de lumière dure, que j’ai plutôt tendance à fuir le reste du temps. C’est l’avantage de la macrophotographie : comme on travaille sur de petits sujets, il devient possible de modeler un peu la lumière. Si vous souhaitez approfondir ces techniques photo, n’hésitez pas à vous joindre à l’un de nos stages sur la thématique macro.
Un beau bilan, avec 15 espèces d’orchidées dont pas mal de nouvelles « coches », des hybrides et de beaux coins! Il y a probablement de quoi vous proposer un nouveau stage de photographie d’orchidées pour avril 2022…
superbe série, c’est magnifique!
Merci beaucoup!
Merci Sylvain pour cette superbe balade et tes magnifiques photos . Le temps de rêver à l’année prochaine !
Merci Nadine! Il y a encore de quoi faire cette saison avec les orchidées, mais c’est vrai qu’il n’est pas impossible que je propose un stage photo/bota dans ces coins en avril 2022 😉